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karl marx - Page 9

  • Deux bulldozers

    Marx est un peu aride pour certains ; et Aristote et Platon ? Il faut dire que les exégètes du Parti communiste français, tel Althusser, n’ont pas aidé à rendre Marx plus vivant.

    Outre Shakespeare, Dickens, Balzac, dont la parenté spirituelle avec Marx est évidente et revendiquée par lui, difficile de ne pas faire entrer Evelyn Waugh (1903-1966) dans ce cercle. Plusieurs aspects de son roman-culte Vile Bodies (Ces Corps vils), notamment, évoquent fortement le "style" de Marx, son mode de raisonnement moderne.

    Ce n’est pas vraiment une surprise dans la mesure où Waugh est Anglais et que Marx est très influencé par la pensée anglo-saxonne, plus encore que les philosophes français des Lumières qui admiraient la politique anglaise sans vraiment chercher à la comprendre.

    *

    Au centre de Vile Bodies, la description d’une course automobile sur un circuit, est comme une métaphore du système capitaliste. Waugh insiste sur la bassesse morale des pilotes, la concurrence à mort qu’ils se livrent, l’absurdité de ce spectacle ennuyeux - à la limite de l’indécence.
    Un autre aspect : l’importance cruciale des classes sociales ; Waugh pose un regard lucide sur l’aristocratie anglaise ; bien qu’elle l’attire, il raconte sa déchéance.
    Mais Waugh, qui a tout fait pour épouser une aristocrate comme Marx, n’est pas communiste : il ne croit pas que la civilisation puisse se passer de l’aristocratie.

    Le plus caractéristique peut-être : Waugh s’abstient le plus possible d’entrer à l’intérieur des personnages de sa comédie humaine moderne. Ils sont déterminés par leurs faits et gestes, leur appartenance sociale.
    Nous sommes remplis d’illusions et de mensonges sur les autres et sur nous-mêmes.
    À partir de deux ou trois indices on a vite fait de déduire l’évolution de l’humanité du singe au métrosexuel ou à la femme libérée, i-pod dans l’oreille et sudoku sur les genoux.
    À partir de deux ou trois indices on a vite fait de s’attribuer un subconscient et un inconscient pour pallier son manque d’épaisseur.
    À partir de deux ou trois indices on a vite fait de se fabriquer une panoplie de super-héros et de rivaliser avec les dieux de l’Olympe. Etc.

    Ce qui intéresse Waugh comme Marx, c’est la vérité. Les idéologies personnelles, les petites chapelles privées que la démocratie stimule et entretient ne résistent pas à ces deux bulldozers.

  • Kirche, Küche und… Kapital !

    Ce coup-ci, ça y est, avec la célébration de la Saint-Valentin cette semaine dans les églises du diocèse de Paris, je crois qu'on a touché le fond. Pas le fond du mauvais goût, non, ça ça ne date pas d'aujourd'hui, et l'Église peut sans doute survivre longtemps au ridicule. Là c'est plutôt le summum du MARKETING qui est atteint. Et c'est sans doute plus grave.

    Il ne faut pas se raconter de blagues mystiques, de tout temps les évêques se sont majoritairement soumis aux diktats contraires des autorités politiques, y compris dans le domaine de la morale. Les martyrs, les Thomas More, sont plutôt rares. Je ne nie pas leur courage, mais même les prêtres réfractaires, pour beaucoup d'entre eux ont été soutenus par tout un corps social, un corps social menacé, certes, mais un corps social quand même.

    Mais la soumission empêche-t-elle le rappel des principes catholiques aux ouailles catholiques ?
    À propos du mariage, qu'en est-il, quel est le modèle que l'Église propose désormais, en quoi est-il différent du modèle laïc ? J'écoutais l'abbé de La Morandais l'autre jour, invité à la télé pour y défendre le mariage chrétien, et pourtant La Morandais n'est pas le plus soumis des prêtres, eh bien pas une seule fois en une heure de plateau il n'a parlé de la famille, des enfants ! Pas une fois : « Le couple, le couple, le couple… »
    Le Père La Morandais s'est contenté d'une morale, disons… stoïcienne, ce qui est toujours mieux que la morale petite-bourgeoise, dans un régime démago-capitaliste, je ne dis pas, mais que restera-t-il du catholicisme en Europe lorsque le clergé l'aura converti entièrement en une morale stoïcienne ?

    Contre la philosophie contemporaine de la morale sexuelle catholique, un peu d'Histoire : la question de la limitation des naissances obsède les féministes depuis au moins un siècle aux États-Unis, dans cette grande nation entièrement dévouée à l'accumulation des richesses. Y compris les féministes catholiques, suffisamment organisées pour faire pression sur les cardinaux réunis au Concile de Vatican II et les obliger à théoriser sur la limitation des naissances, ce qu'ils n'étaient pas disposés à faire a priori (Pour plus de détails sur les circonstances de ces pressions féministes, on se référera au théologien J.-M. Paupert.)
    Ces pressions féministes ont abouti à forger de toutes pièces ce que certains démocrates-chrétiens appellent sans rire "la contraception naturelle" ; et tout un un blabla proprement écœurant sur le fonctionnement des ovaires que l'homme catholique moderne serait censé connaître par cœur. Pincez-vous, vous ne rêvez pas, vous êtes dans un presbytère et Monsieur le Curé vous donne un cours de morale sexuelle. Ah, ah, comme d'habitude, j'exagère, les prêtres ont tous désormais au moins bac+5, ça ne veut pas dire pour autant qu'ils parlent latin ni même hébreu couramment, mais ils sont capables de discerner en quoi cette prétendue méthode "naturelle" est en réalité la plus technique et la plus sophistiquée des méthodes de contraception disponible sur le marché occidental.

    Donc ce cours de morale sexuelle est confié dans les faits à quelque bigote de la paroisse, aussi fanatique que dévouée. Attention : si vous lui faites remarquer qu'elle débloque complètement, elle vous coupera les couilles, avec une demande d'excommunication envoyée à Rome subito presto.

    J'ai l'air de plaisanter comme ça, mais d'ici quelques années les catholiques n'auront presque plus affaire qu'à des gargouilles de ce genre. Et les bonnes sœurs ? il y aurait beaucoup à dire sur les bonnes sœurs, le nombre de martyrs parmi les prêtres qu'elles ont pu faire dans les années quatre-vingt, les obligeant à voter pour Georges Marchais, les poussant véritablement à l'alcoolisme ou à la démence. Je n'étais qu'un petit lapereau à l'époque, mais j'ai bonne mémoire.

    Au-delà des principes, qu'est-ce que ça change ? Un dialecticien futé pourrait me rétorquer : pas grand-chose. Les statistiques montrent que les familles chrétiennes ont plus d'enfants que les autres, et donc que la méthode Billings, ils l'appliquent par-dessus la jambe, ils ne connaissent pas le fonctionnement des ovaires par cœur, ils ne font que simuler. Heureusement d'ailleurs, ça serait quand même un comble que la plupart des catholiques ne connaissent plus leur catéchisme par cœur mais qu'ils possèdent la mécanique des ovaires sur le bout des doigts !

    Non, c'est plutôt la chasteté qui se trouve modifiée par ces laïus improbables, la chasteté si pénible à saint Louis (selon Jacques Le Goff).
    Dans la morale traditionnelle catholique, qu'on peut qualifier d'augustinienne, la chasteté est entre les mains du clergé. C'est le clergé qui décide des périodes d'abstinences, de les réduire pour faire plaisir aux hommes, de les étendre pour faire plaisir aux femmes. Dans cette morale sexuelle contemporaine de bigotes fanatiques, la chasteté, on l'a compris, est entre les mains des femmes elles-mêmes, désormais. Au fond, tout ces pouvoirs qu'elles n'avaient pas auparavant, d'où le tirent-elles ? Eh bien mais de la division du travail dans le mode de production capitaliste, pardi !